Éviscération 046 – Le Métal Noir De Jonathan Reynolds

Chères Éviscérées,
Chers Éviscérés,

Aujourd’hui, on fait une place toute métallique à un auteur et que vous connaissez surement pour l’avoir lu dans Agonies et Écorché : Jonathan Reynolds. Son nouveau roman sort le 18 juin prochain. J’ai eu le plaisir de lire ce roman en avance, voici ce que j’en ai pensé :

Abîmes, de Jonathan Reynolds, est un roman fantastique noir, aussi noir que le plus noir métal. On y découvre L'Abîme, un mystérieux groupe de black métal qui cache un sombre secret. J'ai adoré ce roman à la structure atypique, avec tous ces points de vue qui montrent les différentes facettes de la déchéance de L'Abîme, et de ces personnages typiques de la scène métal qui m'ont rappelé des souvenirs de shows et d'amis métaleux. Pour amateurs de terreur, de fantastique à saveur très québécoise... ou de métal !

Et maintenant, Jonathan a répondu au questionnaire d’Éviscération!


Qui es-tu, Jonathan Reynolds?
Je m’appelle Jonathan Reynolds, oui, oui, Jonathan comme le goéland et Reynolds comme Burt… ou comme le papier d’aluminium. Je suis né à Bromptonville, dans la belle région de l’Estrie. J’ai quelques chapeaux sur ma petite tête. En voici les principaux : auteur (jeunesse et adulte), coordonnateur de la revue Solaris, ainsi que co-fondateur et co-éditeur des éditions Les Six Brumes.

Peux-tu nous parler un peu de ton nouveau livre?
Mes deux plus récents livres sont :
1) un roman de fantastique horrifique, Abîmes, publié aux éditions Alire, qui vise un public adulte. L’histoire se déroule dans le milieu de la musique Métal au Québec. Y a-t-il des lecteurs(trices) métalleux(ses) dans la salle?
2) un roman d’épouvante qui s’adresse aux lecteurs de 9 ans et plus, Terrible Voisin, publié dans la collection Frissons, raconte l’histoire de Julien qui a toujours eu une peur bleue des araignées. Peu après son arrivée dans un nouveau quartier, on lui raconte une histoire terrifiante. Son voisin, surnommé Monsieur Arachnide piégerait ses victimes pour ensuite les dévorer…

Quel est le roman qui a le plus inspiré ton travail ?
C’est une question difficile parce que plusieurs auteurs ou titres me viennent en tête, H. P. Lovecraft, Stephen King, Patrick Senécal, Frédérick Durand… mais je répondrai : La Peau blanche, de Joël Champetier qui contient « tous les ingrédients » que je recherche dans une histoire de peur : des personnages vraisemblables, bien définis, bien ancrés dans leur quotidien, quotidien qui se retrouve subtilement, et progressivement, chamboulé par l’arrivée d’un paranormal qui, pourtant, semble bel et bien appartenir à notre monde et ce, depuis longtemps. Une histoire d’amour qui nous fait grincer des dents par moments. Une réflexion sur notre société, sur notre culture, sur ce qui nous définit en tant qu’être humain. Quelques scènes de violence mais pas trop, ce qui fait qu’on s’en souvient. Et une finale en teinte de gris, ouverte, qui abandonne habilement le lecteur avec ses doutes, ses suppositions… Quand j’avais lu La Peau blanche pour la première fois, à l’automne 2000, j’avais compris qu’une histoire de peur fonctionne encore mieux quand l’intrigue repose sur des personnages attachants et vrais (pas besoin d’une enquête complexe ou de monstres spectaculaires), des personnages près de soi.

Tu visites une librairie imaginaire et tu trouves le livre de tes rêves. De quoi parle-t-il?
Bonne question! Je me rends compte que je ne me la suis jamais posée. Hum… Ce serait sans doute un livre avec la nostalgie de l’enfance/adolescence à la Nuit d’été de Dan Simmons, Le Mystère du lac de Robert R. McCammon, Je suis ta nuit de Loïc LeBorgne, L’Amie mortelle de Diana Henstell, avec l’ambiance de mystère, où on ne voit que la pointe de l’iceberg mais on devine toute l’horreur enfouie, comme dans La Conspiration des ténèbres de Theodore Rosrak, Sur le Seuil de Patrick Senécal et Au rendez-vous des courtisans glacés de Frédérick Durand. Dans ces romans, on touche un côté, hum… je dirais, sacré, presque mystique, comme si on entrevoit, on effleure cet autre côté sans jamais y aller… parce que ce serait trop terrible. Un début d’intrigue chaleureux avec des personnages attachants, l’intrusion du fantastique, une « enquête » pour comprendre sans jamais pleinement trouver la réponse, puis une pointe d’horreur. Ce serait peut-être un roman qui réunirait tout ça : le drame, l’étrange, le fantastique, l’horreur. Je ne sais pas si ma réponse est suffisamment claire mais dans ma tête, alors que j’écris ces mots, ça fait du sens.

En quelques lignes, imagine une scène d'horreur.
J’entre dans le commerce Aux semelles divines, les pieds meurtris. Je me mords la lèvre pour ne pas grogner de douleur. On dirait que je marche sur des braises ardentes depuis des heures. Je dois finalement avouer que Lydia a raison. Combien de fois m’a-t-elle répété : « Katy chérie, pourquoi tu t’entêtes à garder tes vieux Converse? Tu vas te scraper les pieds si ça continue… ». Je sais, je sais, mais ces chaussures sont le dernier cadeau que ma mère m’a donné avant sa mort.
Je les porte à chaque jour depuis. Et ce n’est que dernièrement que la douleur a commencé à me dévorer les pieds.
Vraiment, cette boutique tombe à point! Parmi tous les souliers qui tapissent les murs de la pièce étroite, j’en trouverai une paire qui me convient, j’en suis sûre! Et je conserverai les Conserve en souvenir de ma mère dans mon placard.
—       Je peux vous aider, mademoiselle? me demande un petit homme à la moustache taillée avec précision, derrière son comptoir.
—       J’ai besoin de souliers… confortables.
Le vendeur considère mes Converse sales et troués d’un bref coup d’œil, que je devine condescendant. Et sans même me demander ma pointure ou mes goûts, il disparaît derrière un rideau de tissu qui doit mener, je le devine, vers l’arrière-boutique. En moins de deux minutes, il en revient avec une boite de bois. Je remarque qu’il boite. Il s’agenouille devant moi – mes narines captent alors son odeur de sueur rance – puis ouvre la boite. À l’intérieur, je vois une paire d’espadrilles dont je ne parviens pas à déterminer ni la couleur, qui semble changer à chaque seconde, ni les matériaux… on dirait que ces espadrilles sont à la fois physiques et immatériels.
Les questions qui se bousculent soudain dans mon esprit s’étouffent dans ma gorge nouée. Mes mains tremblantes effleurent les espadrilles qui deviennent translucides. Je sens un picotement sur le bout de mon doigt, d’abord subtil, puis de plus en plus envahissant. Une chaleur se répand dans ma main, mon bras, puis dans tout mon corps, une chaleur qui me rappelle le désir intense qui m’avait envahie la première fois que Lydia m’avait embrassée avec passion.
—       Pourquoi ne les chaussez-vous pas, mademoiselle? murmure l’homme.
Les mains moites et le cœur battant plus rapidement, je saisis sans plus attendre une première espadrille qui emprunte la couleur de ma peau. Elle est légère et douce au toucher, un peu comme les cuisses de Lydia. Je la dépose au sol et me dépêche à enlever les vieilles Converse inconfortable et malodorante. Je glisse enfin le pied nu dans cette espadrille à la semelle chaude et… humide? Une douleur intense me saisit à la cheville, comme des lames de rasoir!
La créature aux crocs tranchants dévore mon pied pendant que le petit vendeur semble se régaler de ma souffrance.
—       Mangez mes petits, vous n’avez pas eu de la chair aussi fraîche depuis bien trop longtemps.

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Rien de mieux qu’une bonne collation signée Reynolds pour terminer la journée! Haha!

À bientôt, chers éviscérés!

Frédéric Raymond, éditeur
La Maison des viscères

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